Toujours lors du Festival de La Bandes Dessinées à Angoulême, entre 2 séances de dédicaces, Emmanuel Murzeau s’est laissé aller au jeu de l’interview autour d’un bon verre.
BD : « Le Masque Aveugle » est le 2e tome de la série « Les Aphrodites« . Un 3e tome est en route et il devrait clore le récit.
M : Je le mets en route au Printemps, mais il y a matière avec Nerciat à faire presqu’un décalogue et ainsi de faire durer le plaisir. Après le 3e, je ne sais pas. Est-ce que lecteur aura encore du plaisir, en aurai-je encore, est-ce que j’aurai encore des choses à dire là-dessus? On verra. J’essaierai de faire un truc un peu rond qui pourrait clore.
BD : Et tu travailles seul à l’adaptation?
Oui, seul. Enfin, Le Chevalier a été sympa. Il a écrit ça comme une pièce de théâtre. Les dialogues sont déjà là, les descriptions sont importantes en pieds de page. En gros, je garde au maximum l’original.
BD : Pourquoi adapter Nerciat?
M : Tout d’abord, parce que la langue est superbe. C’est une nostalgie de ma langue. Après 15 ans en Allemagne (Murzeau vit à Berlin), je me suis rendu compte qu’il me manquait peu de chose de la France. Mais par contre , la langue, oui. Il suffisait que j’entende parler français pour me sentir comme chez moi. Je sentais qu’il y avait des mots que je ne pouvais pas expliquer en allemand, comme des odeurs, ça ne s’explique pas. Il y a des mots qui te touchent personnellement.
BD : Quel a été le moteur de cette adaptation ?
M : C’est l’idée du libertinage, ou ce qu’ils appellent « morosophes », qui est une philosophie très moderne. Tout le monde est égal et ça m’a plu. C’est aussi un Vaudeville, où les femmes sont dominantes. Je voulais aussi montrer que, dans l’Histoire, bien que nous sommes après la libération de la Femme, ces idées étaient déjà là, tout en étant anti-religieux et athéiste.
BD : C’est contemporain du Marquis de Sade.
M : Selon moi, il y a un gros malentendu avec Sade. Il n’est ni érotique, ni pornographique. C’est un philosophe qui fait de l’hédonisme et de la morale. il parle de la violence. Ca me fait pas du tout bander. J’échangeais récemment quelques lignes avec une scénariste qui s’attaque à une de ses œuvres. Quand j’ai vu les registres qu’on devait aborder comme la pédophilie ou l’inceste, je me suis demandé comment on aborde ça. Si on l’enlève, on perd de l’intérêt. Et je ne suis pas convaincu de le faire.
J’ai le même souci avec Nerciat. Le personnage de la jeune serveuse noire d’une quinzaine d’années est bien traitée, mais, dans ce sens là, ce n’est plus de l’érotisme pour moi.
BD : Tu es très attaché à l’idée d’érotisme.
M : Oui, j’imagine qu’une majorité de dessinateurs a leur jardin secret. C’est pour nous une psychanalyse. On recrache nos obsessions sur le papier, le galbe d’une cuisse, une ombre sur un visage. On en profite, on en fait un métier. Et on le partage avec nos lecteurs.
BD : Et quelle base anatomique utilises-tu pour tes dessins?
M : J’utilise assez peu de modèle. Je fonctionne beaucoup à la mémoire. Je m’attache davantage à trouver le bon angle, à imaginer la scène et à savoir où poser ma « caméra ». Peut-être un souvenir de mon père ingénieur.
BD :Et pour les décors?
M : J’ai essayé de me documenter et de pas trop m’en faire. Je préfère dessiner des corps, mais il y a une cohérence. J’ai évité l’anachronisme, sans tomber dans l’étude approfondie.
BD : Et parle nous de cette couleur unique, ce « Vert-de-Gris ». C’est un parti pris fort.
M : A la suite d’expériences passées, la phase d’encrage n’était pas satisfaisante. A cette époque, j’ai lu une interview de Loisel qui disait pourquoi s’embêter avec les encrages, alors que Photoshop permet de s’en passer. Pour les Aphrodites, j’ai trouvé des mines de plomb aquarellables que j’ai essayé sur du papier Canson et ça avait de la gueule. J’aime bien séparer la forme, la lumière et la couleur séparément.
Un grand merci à Emmanuel Murzeau et Tabou Editions.